Près d’un an après sa sortie, ChatGPT reste un sujet polarisant pour la communauté scientifique. Pour certains experts, il s’agit d’un présage de superintelligence, susceptible de renverser la civilisation – ou de la mettre fin tout simplement. D’autres disent que c’est simplement une version sophistiquée de l’auto-complétion. Jusqu’à l’arrivée de cette technologie, la maîtrise de la langue était toujours un indicateur fiable de la présence d’un esprit rationnel. Avant les modèles de langage tels que ChatGPT, aucun artefact de production de langage n’avait même la flexibilité linguistique d’un enfant en bas âge. Maintenant, lorsque nous essayons de déterminer de quel genre de chose il s’agit, nous faisons face à un dilemme philosophique perturbant : soit le lien entre la langue et l’esprit a été rompu, soit un nouveau type d’esprit a été créé. Lorsque vous conversez avec des modèles linguistiques, il est difficile de surmonter l’impression que vous êtes en train d’engager une autre personne rationnelle. Mais cette impression ne doit pas être fiable. Une raison de se méfier vient de la linguistique cognitive. Les linguistes ont longtemps noté que les conversations typiques regorgent de phrases qui seraient ambiguës si elles étaient prises hors contexte. Dans de nombreux cas, il n’est pas suffisant de connaître la signification des mots et les règles de combination pour reconstruire le sens de la phrase. Pour gérer cette ambiguïté, quelque chose dans notre cerveau doit constamment faire des suppositions sur ce que l’orateur voulait dire. Dans un monde où chaque locuteur a des intentions, ce mécanisme est toujours utile. Dans un monde envahi par de grands modèles linguistiques, il a cependant le potentiel de tromper. Si notre objectif est d’obtenir une interaction fluide avec un chatbot, nous pouvons nous retrouver coincés en nous reliant sur notre mécanisme de supposition d’intention. Il est difficile d’avoir un échange productif avec ChatGPT si vous insistez pour le considérer comme une simple base de données. Une étude récente, par exemple, a montré que les supplications chargées d’émotion constituent de meilleurs déclencheurs pour les modèles linguistiques que les demandes neutres sur le plan émotionnel. Raisonner comme si les chatbots avaient une vie mentale humaine est une façon utile de faire face à leur virtuosité linguistique, mais elle ne doit pas être utilisée comme une théorie sur la façon dont ils fonctionnent. Ce genre de prétention anthropomorphe peut entraver la science fondée sur des hypothèses et nous amener à adopter des normes inappropriées pour la réglementation de l’IA. Comme l’un d’entre nous l’a argumenté ailleurs, la Commission européenne a commis une erreur en choisissant la création d’une IA digne de confiance comme l’un des objectifs centraux de sa nouvelle proposition de législation sur l’IA. Être digne de confiance dans les relations humaines signifie plus que de simplement répondre aux attentes ; cela implique également d’avoir des motivations qui vont au-delà d’un intérêt étroite. Parce que les modèles actuels d’IA manquent de motivation intrinsèque – qu’ils soient égoïstes, altruistes ou autre – l’exigence qu’ils soient dignes de confiance est excessivement vague.
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