En mars 1857, deux ans avant que Thomas Edison n’invente le phonographe, le bureau des brevets français a décerné un brevet à Édouard-Léon Scott de Martinville, un imprimeur parisien, pour une machine qui enregistrait le son. Inspiré par les études anatomiques de l’oreille humaine et fasciné par l’art de la sténographie, Scott avait fait une découverte radicalement nouvelle : au lieu d’être écrites par un être humain, les ondes sonores pouvaient être enregistrées par une machine. Le dispositif de Scott dirigeait les ondes sonores dans un appareil en forme de corne qui se terminait par une membrane. Les ondes sonores provoquaient des vibrations dans la membrane, qui étaient ensuite transmises à une pointe faite d’une brosse rigide. La pointe gravait les ondes sur une page sombre à cause de la poussière de carbone de la lampe noire. Il appelait son invention un phonautographe : l’écriture automatique du son. Dans les annales de l’invention, il n’y a peut-être pas de mélange plus curieux de perspicacité et de myopie que l’histoire du phonautographe. D’une part, Scott avait réussi à faire un saut conceptuel crucial – la réalisation que les ondes sonores pouvaient être extraites de l’air et gravées sur un support d’enregistrement – bien avant que d’autres n’y parviennent. (Lorsque vous êtes deux décennies en avance sur Edison, vous vous en sortez plutôt bien.) Mais l’invention de Scott était handicapée par une limitation cruciale, voire comique : il avait produit le premier dispositif d’enregistrement sonore. Mais il a omis de prévoir la lecture. Il nous semble maintenant évident qu’un dispositif d’enregistrement sonore devrait comporter une fonction permettant d’entendre l’enregistrement. Mais c’est du hindsight. L’idée que les machines puissent restituer des ondes sonores provenant d’ailleurs n’était rien de plus qu’intuitive. Ce n’est pas que Scott ait oublié ou n’ait pas pu faire fonctionner la lecture audio ; c’est que cette idée ne lui est jamais venue à l’esprit. C’était dans son champ de vision limité. Pour des raisons compréhensibles, lorsque nous racontons des histoires d’innovation technologique, nous avons tendance à nous concentrer sur l’intuition et même sur ce qui semble être une voyance – les gens qui peuvent voir l’avenir avant les autres. Mais il y a un revers à cette perspicacité qui ressort encore et encore dans l’histoire de l’innovation : les points aveugles, les possibilités qui nous ont échappé mais qui, a posteriori, nous semblent évidentes.
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