« Sur la piste du roi du fentanyl »

Dans une maison quelconque sur une rue calme d’une banlieue de la classe moyenne de Houston, au Texas, Alaa Allawi était penché sur son ordinateur portable noir et doré. C’était début 2017, et Allawi figurait parmi les 10 meilleurs vendeurs sur AlphaBay, à l’époque le plus grand bazar du dark web pour toutes sortes de produits illégaux. Chaque semaine, il expédiait des dizaines de colis de narcotiques illégaux : cocaïne, faux Xanax et faux OxyContin. Une commande est arrivée d’un jeune marine en Caroline du Nord. Il voulait de l’Oxy. Allawi a entrepris de satisfaire la commande, en choisissant parmi les sacs de poudres et de produits chimiques éparpillés dans son grenier et son garage. Il avait des produits chimiques précurseurs, des agents de liaison et des colorants provenant d’eBay, ainsi que du fentanyl – un opioïde synthétique 50 fois plus puissant que l’héroïne – en provenance de Chine. « Man, tu peux commander n’importe quoi sur Internet », a déjà dit Allawi à un ami. C’était le secret de son succès. Allawi a versé les ingrédients dans un mixeur Ninja, les a mixés jusqu’à ce que le contenu semble assez bien mélangé, puis est sorti vers le hangar de son jardin. A l’intérieur se trouvaient deux presses à pilules en acier, de la taille d’un petit réfrigérateur et recouvertes de résidus poudreux. Il a tapoté le mélange puissant dans une trémie au sommet de la presse, qui s’est mise en marche d’une simple pression sur un bouton. Les pilules ont été expulsées quelques minutes plus tard, estampillées pour ressembler à leurs homologues prescrits. Bientôt, les faux OxyContin étaient prêts à être expédiés, scellés d’abord dans un sac puis glissés dans un colis. Un membre de l’équipe d’Allawi a déposé la commande au bureau de poste, avec une pile d’autres colis adressés à des acheteurs de tout le pays. Si Allawi croyait que l’anonymat du dark web suffisait à le protéger des yeux scrutateurs des forces de l’ordre, il se trompait. Le travail d’Allawi – glisser de petites quantités de fentanyl dans des pilules contrefaites, les rendant efficaces mais hautement addictives et parfois mortelles – alimentait le dernier tournant mortel d’une épidémie nationale d’opioïdes qui a emporté plus de 230 000 vies depuis 2017. La contribution d’Allawi à cette crise en avait fait une cible principale pour l’administration américaine de lutte contre la drogue, et les agents fédéraux interceptaient des colis contenant ses pilules au fentanyl de Kansas à la Californie. À l’époque, Allawi ne le savait pas, mais l’expédition de ces pilules en Caroline du Nord scellerait sa chute. Aujourd’hui, Allawi est détenu dans une prison fédérale dans le nord de l’État de New York, où il purge une peine de 30 ans. Son cas a été la première poursuite pour trafic de fentanyl utilisant le dark web et les cryptomonnaies dans le sud-ouest américain, et les enquêteurs ont décrit son opération comme un indicateur du marché croissant des pilules contrefaites aux États-Unis. Au cours de plus de deux ans d’échanges d’e-mails, il m’a raconté son histoire : une odyssée criminelle dont les germes ont été plantés à des milliers de kilomètres de là, sur une base de l’armée américaine en Irak.